Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

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Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

vendredi 24 septembre 2010

l'histoire... Nord Pinus... Villa Real...
















Sur l'oreiller, nue, elle posera tantôt sa tête à la chevelure un peu folle. Quelques ombres et des dentelles sur le lit, il manque le livre ou la lampe. Pierrot s'est perdu dans les souterrains obscurs. L'hôtel est calme. Le lit de fer blanc, chambre de jeune fille, innocence et pureté, ou fleurs blanches, narcisse, jasmin, roses ; des effluves de « l'air du temps », le poème de la soirée automnale. Tout à l'heure, une main aux doigts déliés, une main de danseuse éteindra la lampe.

Elle avait marché longtemps, si longtemps,  et maintenant, elle se reposait, regardait par la fenêtre les chats noirs qui jouaient dans le jardin des simples. Sa mère l'avait rejointe. Le soleil inondait de luminosité le parquet brossé et ciré par Nina, la vieille dame qui n'avait jamais voulu quitter  la demeure isolée. Elle en était devenue la gardienne, la conteuse au coin de la cheminée, la fidèle mémoire de cette famille clairsemée et exilée. La robe légère de la jeune fille  rappelait les étoffes d'Ecosse, si loin, les landes et les bruyères. Deux petits pots de fleurs, plantes posées là comme des trophées.

Dès cette première photo, on aurait dû s'en douter. Escalier vers le paradis avait dit Vinika, moi, je n'y croyais pas à cette version, non, c'était menaçant, l'annonce d'une crue, d'un débordement.

Je ne sais plus qui m'a apporté la deuxième, peut-être Maria qui l'avait retrouvée après la mort de Luis ou alors elle était dans l'enveloppe, l'enveloppe que j'avais trouvée dans le tiroir de la table à Villa Real.

 C'était un automne léger,   les vendangeurs commencèrent tôt la saison du travail de la vigne ; les raisins fermes, ronds et doux, les filles chantaient en le cueillant, les hommes riaient.  Le soir entre deux verres de porto, quelqu'un entamait le plus vieux Fado et la soirée s'annonçait chaude ; le temps encore tiède, et tendre, comme les chairs épanouies des jeunes filles, après tant de soleils d'été. Estivales nuques baignées de lune, la nuit retrouvait sur les joyeuses endormies, dans le dortoir du vieux manoir, les sourires ébauchés avant la fin du rêve. Les hommes parlaient longuement, sur le banc au noisetier, en fumant des cigarettes, la fumée s'envolait doucement, tout doucement, on entendait une femme chanter une berceuse dans la plus haute chambre.

Des années plus tard, une descendante de cette famille était venue visiter la propriété de sa famille. Elle avait reçu ce domaine en héritage, pourtant, ses parents avaient émigré en France, et elle parlait trop peu le Portugais. Elle était la dernière de la lignée, tout avait été préservé ; les grands parents morts maintenant, ses parents décédés également, elle ne pouvait que venir voir, et que faire de tout cela ? Elle retrouva des photographies dans les malles du grenier,  trouva la photo d'une jeune femme qui lui ressemblait étrangement, on aurait dit une soeur jumelle... Elle avait passé la nuit dans un hôtel à Villa Réal mais ce jour-là, elle décida de dormir dans la grande chambre voûtée et bleue. Il y avait encore une vieille femme attachée à la maison, elle n'allait pas être seule. Ce soir-là, elle crut entendre des pas légers dans le corridor du deuxième étage. Une porte grinça là-haut,  se referma lentement. Qui était là ? La légende du fantôme était-elle réelle ? Maria avait-elle  eu  raison de lui dire de venir aussitôt qu’ on la contacterait et qu’elle ne devrait alors pas tarder à se rendre au rendez-vous avec le passé.

Cheveux bleus, pavillon de ténèbres tendues

Vous me rendez l'azur du ciel immense et rond…

Et le visage presque invisible, les bras en croix dans un tiroir de la ville réelle…

Elle avait trop mal dormi cette nuit là, avec ces chuintements sur le parquet de l'étage, les clapotements de l'eau dans la fontaine du jardin abandonné aux herbes sauvages et médicinales, un parterre de simples. Il était erveilleux de trouver ça ainsi, en creux de rochers et de tourbe, au milieu d'une fontaine rustique qui glougloute et clapote ; un crapaud attendait, se chauffait au soleil lorsque la jeune femme s'allongea sur la pierre courbe, son corps offert aux rayons dorés, les bras en croix, la croix de ce passé encore tellement incertain.

Qui était cette femme qui lui ressemblait tant? Lointaine cousine, lointaine ancêtre? Et pourquoi cet exil ? Que penser de  cette histoire d'une femme emmurée dans l’ une des chambres de la tour carrée? Amoureuse d'un musicien qui passait par là, par la grande ville? Elle, promise déjà aux noces conquises. Son père l'aurait enfermée. Elle avait voulu le couvent plutôt que la mort entre des murs solitaires, et un jour, on racontât partout qu'elle avait disparu, qu'elle s'était sauvée... Avec son bel aimé.

Il semblerait que la fable du manoir raconte encore aujourd'hui qu'une belle dame blanche aux longs cheveux de geai, aux reflets bleus de plumes de corbeau erre, en pleurant et en chantant une complainte, dans le parc et dans les vignes. Parfois, nue, elle foule des raisins invisibles et disparaît dans une grotte, qui se love au sein de la ténébreuse forêt. Elle serait morte, dit-on dans le hameau, là, seule, abandonnée, et il faudrait tourner les pages de  son journal. Mais où l’a t’elle cachée ?

Ce jour-là, donc, la jeune femme rêvait au long de la pierre chaude lorsqu’une bise légère comme une caresse la frôla, elle ouvrit les yeux et vit un homme qui se penchait vers elle. Elle tressaillit, il lui sembla entendre en elle une voix qui disait : "enfin, te voilà revenue ! Je t'ai tant attendue ! " Sursautant, elle se leva, farouche, et vit un individu très agréable qui  s'excusait de lui avoir fait peur.  Il était tout à fait contemporain, actuel, non un personnage fantomatique vêtu à la "mode ancienne", c'est ce que disait Augustine, la gouvernante... Et il parlait même le Français.

C’était un voisin, un vigneron d’à côté.  Elle le revit régulièrement. C’était tellement agréable de vivre loin de la France, en une terre qui la charmait et l’enthousiasmait.

"L'escalier de pierres taillées montait, si haut ,vers le paradis ou vers la fin du monde, la fin d'un monde. Les chiffres indiquaient la montée des eaux, la crue. Un nouveau Moïse surgirait des eaux folles, élancées et furieuses. Sa barque de feuille de vigne trop légère... "

Un autre songe... C'était la nuit, noire et sombre comme la tombe où l'oeil de Dieu regardait Caïn... C'était la nuit, et si noire ma robe qui glissait sur les pierres... " Non je n'ai jamais dormi dans cet hôtel..." Quelques gouttes d'eau, des larmes ou de la pluie perdue, des morceaux de nuage qui perlent, dans l'entrée de la porte du Pinus Hôtel, je voyais des visages, des crânes et des formes dansantes, comme des grimaces riantes, un visage noir et de profil, et je songeais à cette nuit du Gospel, fascinante et emportée, oui, j'aimais être emportée, par les flux scintillants d'une rue, d'une ville, d'une porte comme celle-ci et le rêve m'emmenait si loin... Une porte de Noël, Nativité brillante de lucioles ou d'étoiles, et puis, non, rien que la nuit, qui enveloppe et entoure, couette épaisse, qui environne les corps et endort; maintenant, il est vrai qu’il pleut. Mais je pense que ce jour-là, il ne pleuvait pas, c'était un silence ou un murmure :des gouttes explosées de la fontaine qui volaient, des écumes de mer échappées qui se propulsaient vers la porte opaque, et j'entrais, voilà, tout simplement, comme Alice, non pourtant pour me promener mais pour dormir. Dormir n'est - ce pas aussi se promener ?

"Oui, la crue, c'était la version officielle, celle qu'on racontait là-bas depuis des années, celle qu'on m'avait racontée (bien sûr) le jour où j'avais montré les photos de l'enveloppe trouvée dans la maison de Villa Real. Je n'y croyais pas. "

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