Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

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Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

samedi 3 juillet 2010

cycle " les carnets de Vinika"


4 juillet 1939. J'aime éperdument la mer, insouciante encore des lourdes rumeurs qui cernent la montagne. La jeunesse a tant d'idéaux en son coeur et tant d'optimisme. Petit temps de vacances avant les révisions. Les vagues chuchotent à mes oreilles attentives, battements de formes sur le sable qui déposent des hiéroglyphes absurdes. Les plages se succèdent dans mes oublis, devenues stations d'abandon, où je peux me dépouiller, orage d'encre sur les feuilles de mon cahier. Traces d'écritures, plus tard, délavées, non lues, des mots serrés, secrets qui éclatent. Le rivage neutralise en moi toute colère, toute obscurité. Ici, tout est calme, luxe et volupté disait Baudelaire, moi, je mettrai le mot clarté à la place de calme. J'ai tant marché dans ces eaux insolites, d'apaisements, jonchées de coquillages, les yeux du poisson mort ne me regardaient pas mais dans la nuit, au creux des ombres, je les voyais briller. Je suis seule ce soir dans la vieille maison de pêcheur. Ils sont tous partis. Roland reviendra demain. François a fait beaucoup de photos, les vagues, la mer, les pêcheurs, il lui tardait de repartir pour les développer. Il les apportera la semaine prochaine. Marie et Marguerite se sont baignées longuement, heureusement, il faisait très chaud. A quel endroit déposerai je mon livret pour le relire plus tard, quand je serai devenue vieille ? Ou peut-être serait ce mieux de le brûler? Après tout, qui les lira, ces carnets de vagabonde ? Depuis Kostro, nous sommes devenus vagabonds des mots. Le temps est là, garder en soi même ces moments merveilleux, c'est le bonheur tout simplement. 

mardi 29 juin 2010

Cycle : Autour de Marie, vers minuit.


Pour Y.V. dont j'ai malencontreusement manqué la conférence à Valence, le récit improbable d'une autre conférence…




Klostro ,

Photo Bruno Rosier

le cycle de Kostro, rue de Sallaumines.




Rue de Sallaumines, corons de Méricourt. Deux jeunes filles presque élevées ensemble qui ne se quittent pratiquement jamais. Elles sont allées à l’école ensemble, elles travaillent à l’usine textile de Roubaix « chez Lepoutre »  grand couturier,   prennent le bus ensemble à 5 heures du matin, vont au bal, cousent leurs tailleurs pied-de-poule en chantant, même en vacances ensemble. Sophie et Mathilde. les amies de la famille d’Oignies. Là où vit maintenant Kostro. Arrivé là comme un émigré, il a décidé que leur combat était le sien, et devenu l’un des leurs, il participe en les filmant, en écrivant leurs mémoires. Les familles polonaises. La chambre avec son énorme couette de plumes. Cousue à la main, la vieille machine à coudre dans le coin, sous la fenêtre. Au-dessus du lit, accroché avec un rameau de buis béni, le  couple de Marie et Joseph, en compagnie du petit enfant Jésus. Peinture de sucre et de pâtes de fruits, colorée, qui évoque dans leurs souvenirs la patrie perdue. « Matka Boska », sainte Mère de Dieu ! disent-ils souvent ; ou bien « Jésus Maria, cto to jest ? » Jésus Marie, qu’est ce que c’est que ça ?

Le jardin potager, le fumier dans l’angle droit, les toilettes à gauche. La petite porte en bois à l’entrée, un tout petit chemin et "dzien dobry"  Bonjour ! En hiver, les dames assises avec leurs foulards sur la tête : il ne faut pas faire pleurer les anges ni les tenter ! Cachez vos chevelures, dames du pays ! Elles écorchent- plument les plumes des oies qui, gavées, seront mangées pour Noël. Les enfants cachés sous la table regardent voler les nuages blancs duveteux et écoutent histoires de fantômes, revenants et apparitions ; de cimetières abandonnés, de coups tapés dans la fenêtre à la mort d’un proche, de crucifix qui saigne, de verre qui éclate oh ! malédiction ! des noms à ne pas prononcer !

Sophie et Mathilde, couchées dans l’herbe qui chatouille leurs jambes, ne se parlent pas, elles rêvent à leurs futures amours. Et puis papa a dit «  tu épouseras un Polonais ma fille ! pas un Français ! Les Polonais sont travailleurs»

La mère debout sert son époux revenu du travail. Tout d’abord, elle l’a aidé à se dévêtir, à se laver, mêlant le savon et l’eau chaude, eau qu’elle fait chauffer sur le feu, toute l’année, chaud ou froid, quel que soit le temps ! il faut de l’eau chaude. L’eau ensuite est si noire ! Noire comme à l’intérieur des poumons, calcinée, ombre, une nuit de ténèbres. Puis l’homme sort sur le petit banc, les poules viennent à ses pieds, le voisin aussi fume sa pipe. On entend le cochon qui crie. Il doit avoir faim.

Sophie et Mathilde ont longtemps marché dans la forêt, leurs petits souliers peu habitués à ce genre de parcours, elles sont surtout du style à visiter les parfumeries et les bijouteries. Et adorent se promener en ville et aller au bal.

Mathilde épousera Edouard, qui, de mineur, deviendra chef porion. Hélas, malgré la belle maison et les deux enfants nés de ce mariage, malgré le bel amour,  le cancer, ce crabe rongeur qui ne fait que se cacher et ramper dans le corps ... Maladie muette à l’époque ! On n'en parle pas ! On conjure le sort en se taisant !  "Dieu ! Quel péché a-t-il fait pour être puni de la sorte ?" disent les vieilles bigotes ! Ou alors "quel péché ont commis ces parents ? Ses ancêtres , " ou alors  aussi : " I lest si honnête ,si bon ,quelle injustice ! Quel malheur! Un si brave homme! et Travailleur! Il expie pour nous !' Le poids de la morale et de la conscience ! Et puis, peut-être que la maladie n'est qu'un hasard ! 

Sophie rêve encore. Elle ne sait pas ce qui arrivera.
De la poussière de la fosse 3, rue de Sallaumines, quand son père agonise, lentement asphyxié, sans rien pouvoir faire pour l’aider. 11 septembre 1956 . Hélas ! Il ne retournera pas au pays.

Kostro aime ces jeunes filles, il les connaît maintenant depuis longtemps, elles ont confiance en lui. Il a été accepté facilement, il est si doué, il a appris leur langue facilement.

Lorsque Paul a parlé de sa rencontre avec Kostro à François, celui ci n’avait qu’une idée : le revoir. Il lui a écrit, s’est invité. Quelle joie pour les deux anciens amis. C’est ainsi que François a pu réaliser cet album de photographies de Sophie et Mathilde.

Sophie aurait aimé emmener François au bal avec elle mais elle n’osait rien dire. François, lui, passait  son temps dans les cinémas avec Kostro. D’ailleurs, il y avait  un cinéma «  le Printania » à Noyelles sous Lens, très connu ; et c’est  grâce à cela que Sophie et Mathilde ont découvert le cinéma ! Un de leur premier film : « la loi du silence» puis «la dame aux camélias », elles adoraient aller voir des films avec Kostro.

Le cycle de Kostro, Oignies.





Kostro écrivait parfois à Paul, et alors, certains courriers étaient terriblement lourds. Des lettres accablantes de souffrance, accompagnées de photographies. Deux lettres relatent un film tourné sur des lieux de catastrophe. Que Kostro n’arrivait pas à terminer. La Fosse 7 de Mazingarbe, deux morts, janvier 1953 ; La Clarence, de Divion, explosion au petit matin en un jour de repos et de ducasse. Les musiciens continuaient de jouer, le bal n’en finissait pas, c’était la fête, le mois de juin sous les tilleuls en fleurs, les amoureux  se promènent, main dans la main, les bistrots encore ouverts, et l’explosion. 4 morts, des blessés. La poussière éclate, vole, détruit, le vent obscur, le feu, incendie ; coup de vent dans la mine, la sirène qui hurle au cœur de la nuit, le grisou qui s’enfuit, le bruit, les larmes, femmes agglutinées, serrées les unes contre les autres, les chapelets égrenés le long des grilles, le service d’ordre, la police, les pompiers. Désastre, peur, attente, chagrin, si profond, déchirure sur le ciel gris des mines. Que cesse ces hécatombes, que cesse l’ouverture des tombes ! N’y a t’il donc pas assez de ces silicosés par centaines, sacrifiés à la politique, à la guerre, toujours du rabiot, allez ! travaillez ! Non, pas de grève ! le boulot ! Et les veuves, noires, aux yeux noirs de cernes et de larmes, les enfants en pauvres tabliers qui remplacent le père, allez !  à la mine ,au fond ! Et les mères  joignent les mains, mettent des cierges. « Ah ! Dieu ! Que vive mon enfant ! Tu as déjà pris le père ! » disent elles.
Dans ce tas de lettres de Kostro l’une est émouvante : on y voit en octobre 1952, Jean Marais descendre au fonds numéro  2 de Oignies. Les foules se pressent pour le voir et l’applaudissent.

(photographies : Oignies . Remi Guerrin. )

lundi 28 juin 2010

Cycle de Kostro, la suite.

à Vinika

12 Novembre 1952
Chère Madeleine,
J’ai fait hier une rencontre en sortant du Ministère des Affaires Étrangères. Je marchais vers la Gare d’Orsay où j’avais rendez-vous avec Roland. J’aimerais qu’il puisse m’aider dans mes démarches, il a des relations avec des politiciens de tous les bords. Mais je crois que ce sera difficile. En tous cas, au ministère, on ne m’a pas donné beaucoup d’espoir. Beaucoup disent que la Cochinchine est perdue et qu’il vaudrait mieux que je monte mon affaire en Algérie. Il faut réfléchir encore, trouver des capitaux. Je n’ai plus beaucoup d’espoir et il est bien possible que d’ici quelques mois je revienne à Valence. Papa sera content, c’est sûr, mais j’aurais tellement aimé que nous puissions partir, toi et moi, au bout du monde, loin de ce qui s’est passé ici. Note que l’Algérie, c’est une solution mais toi, est-ce que ça te plairait ?
J’étais presque arrivé à la gare quand je suis tombé nez à nez sur Kostro. La dernière fois que je l’avais vu, c’était il y a huit ans, il était encore mal remis de sa blessure au front, il avait des éblouissements, ne restait pas debout très longtemps. Il ne m’a pas reconnu tout de suite. Pour tout dire, il m’a croisé sans me voir. C’est seulement quand je l’ai appelé par son nom qu’il s’est retourné, il a fait deux pas dans ma direction et il est tombé dans mes bras. Bon dieu Paul, il a dit, qu’est-ce que tu fous là ? Je lui ai dit que j’avais rendez-vous avec Roland. Il s’est tout de suite raidi. Tu as cinq minutes ? On est entré dans un bar. Il ne voulait pas voir Roland mais il était content de me voir. Et Marie comment va-t-elle ? et Vincent ? François ? Vinika aussi ? Marguerite ? Tu veux dire Madeleine ai-je corrigé. Oui. Madeleine. C’est triste que ça se soit terminé comme ça, non ? il a dit.
Je lui ai proposé de venir nous voir dès qu’il le pourrait. On irait dans le Royan avec la 4CV de mon père ou à la Roche de Glun à vélo, manger de la petite friture et boire du vin blanc au bord du fleuve. Il a dit « comme dans un film de Renoir ». J’ai dit oui « un film de Renoir ». Il m’a dit qu’il faisait des films aussi. Il a arrêté d’écrire de la poésie en 45. En ce moment, il filme une famille de mineurs polonais à Oignies. Il les voit une fois par mois. Il s’installe chez eux. Il prend son temps, il parle avec eux. Le père a été fusillé par les allemands en 44. Le fils ainé a 28 ans et il a deux gosses. La mère de famille fait la cuisine dans une cantine qui dépend des houillères et où elle fait embaucher sa belle-fille une ukrainienne. Il les filme le dimanche à la messe, il filme l’harmonie où le cadet joue du trombone, le jeu de boules, le bistrot du samedi soir, les réunions du syndicat ou du parti. Il me dit : c’est ma famille maintenant, je ne sais plus écrire, je veux juste témoigner, montrer les choses comme elles sont.
Il me raconte une scène qu’il a tournée récemment. On y voit Krystyna, la grand-mère, feuilleter un album photo. A côté d’elle, il y a ses deux petites-filles, 6 et 8 ans. Krystyna raconte sa vie en s’aidant des illustrations. Les fillettes l’écoutent, posent des questions. La plupart des photos sont « posées » : mariage, communions, baptêmes. Quelques unes sont improvisées. Une grève. Une manifestation. Des femmes au travail en train de faire des mottes avec la poussière de charbon. Une partie de carte. Un homme en costume sur un vélo neuf. Deux jeunes femmes couchées dans l’herbe. Tout cela fait un récit, une légende que les fillettes enregistrent. Kostro me dit que désormais seule la réalité prise au piège de l’objectif l’intéresse. Plus de fioriture ! Plus de blabla ! Il faut du matériel léger, des caméras qu’on mettra bientôt sur l’épaule, accompagner le monde, les gens au fond de la mine. Il faut raconter les histoires dont nous sommes les héros, dont les nôtres en tous cas sont les héros ordinaires.
Je regardais l’heure passer. J’allais rater Roland. J’ai demandé à Kostro de m’écrire. Il le fera : il n’a pas oublié mon adresse. Je ne lui ai pas dit que s’il ne se pressait pas je serai parti au Tonkin ou en Kabylie. On s’est embrassé comme des frères. Quand je suis arrivé Gare d’Orsay. Il était trop tard, le train de Roland avait du partir.
Je t’écris Madeleine, mon petit Lou, dans un bistrot rue de Montreuil. C’est dimanche et je vais bien m’ennuyer loin de toi et de tous ceux que j’aime,
Ton Ferdinand.

dimanche 27 juin 2010

Mariage d'Espéranza



 Mariage d'Espéranza.

Antonio le fiancé d'Esperanza arrive le 28 juin 1932 à Valence. Il a un contrat de travail dans le Diois comme bûcheron. Le mariage avec Esperanza est une grande fête... Avec musiciens, robes volantes, tournis , rondes et danses et flamenco, les musiciens s'en donnent à coeur joie. Quel bonheur la joie de ces deux là qui désespéraient de se retrouver un jour.
Les jumelles sont leurs enfants Paloma et Colomba né peu après. Antonio était très fort pour guider les jeunes qui fuyaient le travail obligatoire et les conduire vers les maquisards. Il apprenait trop vite la configuration des lieux, les frontières, les relais, et savait toutes les caches et cavernes naturelles.
Il fut grièvement blessé à l'attaque de 44 par les allemands sur l'ermitage d'Esparron.