Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

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Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

lundi 28 juin 2010

Cycle de Kostro, la suite.

à Vinika

12 Novembre 1952
Chère Madeleine,
J’ai fait hier une rencontre en sortant du Ministère des Affaires Étrangères. Je marchais vers la Gare d’Orsay où j’avais rendez-vous avec Roland. J’aimerais qu’il puisse m’aider dans mes démarches, il a des relations avec des politiciens de tous les bords. Mais je crois que ce sera difficile. En tous cas, au ministère, on ne m’a pas donné beaucoup d’espoir. Beaucoup disent que la Cochinchine est perdue et qu’il vaudrait mieux que je monte mon affaire en Algérie. Il faut réfléchir encore, trouver des capitaux. Je n’ai plus beaucoup d’espoir et il est bien possible que d’ici quelques mois je revienne à Valence. Papa sera content, c’est sûr, mais j’aurais tellement aimé que nous puissions partir, toi et moi, au bout du monde, loin de ce qui s’est passé ici. Note que l’Algérie, c’est une solution mais toi, est-ce que ça te plairait ?
J’étais presque arrivé à la gare quand je suis tombé nez à nez sur Kostro. La dernière fois que je l’avais vu, c’était il y a huit ans, il était encore mal remis de sa blessure au front, il avait des éblouissements, ne restait pas debout très longtemps. Il ne m’a pas reconnu tout de suite. Pour tout dire, il m’a croisé sans me voir. C’est seulement quand je l’ai appelé par son nom qu’il s’est retourné, il a fait deux pas dans ma direction et il est tombé dans mes bras. Bon dieu Paul, il a dit, qu’est-ce que tu fous là ? Je lui ai dit que j’avais rendez-vous avec Roland. Il s’est tout de suite raidi. Tu as cinq minutes ? On est entré dans un bar. Il ne voulait pas voir Roland mais il était content de me voir. Et Marie comment va-t-elle ? et Vincent ? François ? Vinika aussi ? Marguerite ? Tu veux dire Madeleine ai-je corrigé. Oui. Madeleine. C’est triste que ça se soit terminé comme ça, non ? il a dit.
Je lui ai proposé de venir nous voir dès qu’il le pourrait. On irait dans le Royan avec la 4CV de mon père ou à la Roche de Glun à vélo, manger de la petite friture et boire du vin blanc au bord du fleuve. Il a dit « comme dans un film de Renoir ». J’ai dit oui « un film de Renoir ». Il m’a dit qu’il faisait des films aussi. Il a arrêté d’écrire de la poésie en 45. En ce moment, il filme une famille de mineurs polonais à Oignies. Il les voit une fois par mois. Il s’installe chez eux. Il prend son temps, il parle avec eux. Le père a été fusillé par les allemands en 44. Le fils ainé a 28 ans et il a deux gosses. La mère de famille fait la cuisine dans une cantine qui dépend des houillères et où elle fait embaucher sa belle-fille une ukrainienne. Il les filme le dimanche à la messe, il filme l’harmonie où le cadet joue du trombone, le jeu de boules, le bistrot du samedi soir, les réunions du syndicat ou du parti. Il me dit : c’est ma famille maintenant, je ne sais plus écrire, je veux juste témoigner, montrer les choses comme elles sont.
Il me raconte une scène qu’il a tournée récemment. On y voit Krystyna, la grand-mère, feuilleter un album photo. A côté d’elle, il y a ses deux petites-filles, 6 et 8 ans. Krystyna raconte sa vie en s’aidant des illustrations. Les fillettes l’écoutent, posent des questions. La plupart des photos sont « posées » : mariage, communions, baptêmes. Quelques unes sont improvisées. Une grève. Une manifestation. Des femmes au travail en train de faire des mottes avec la poussière de charbon. Une partie de carte. Un homme en costume sur un vélo neuf. Deux jeunes femmes couchées dans l’herbe. Tout cela fait un récit, une légende que les fillettes enregistrent. Kostro me dit que désormais seule la réalité prise au piège de l’objectif l’intéresse. Plus de fioriture ! Plus de blabla ! Il faut du matériel léger, des caméras qu’on mettra bientôt sur l’épaule, accompagner le monde, les gens au fond de la mine. Il faut raconter les histoires dont nous sommes les héros, dont les nôtres en tous cas sont les héros ordinaires.
Je regardais l’heure passer. J’allais rater Roland. J’ai demandé à Kostro de m’écrire. Il le fera : il n’a pas oublié mon adresse. Je ne lui ai pas dit que s’il ne se pressait pas je serai parti au Tonkin ou en Kabylie. On s’est embrassé comme des frères. Quand je suis arrivé Gare d’Orsay. Il était trop tard, le train de Roland avait du partir.
Je t’écris Madeleine, mon petit Lou, dans un bistrot rue de Montreuil. C’est dimanche et je vais bien m’ennuyer loin de toi et de tous ceux que j’aime,
Ton Ferdinand.

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