Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

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Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

dimanche 4 juillet 2010

Cycle: les carnets de Vinika


 

Alors, viendra le rite de l’automne. Comme un exil incertain : refuge pour les oiseaux engourdis. Comme un humide silence : nid touffu de feuilles ocre et jaune d’or où les chats vagabonds sont en rupture de caresses. C’était un temps de multiplication des pluies, sous un ciel d’abondance et de riche toison sur les arbres endoloris.

Il nous faudra bientôt la neige couleur de papillon ou une aube limpide pour que les enfants se reposent. La terre s’illumine encore de gestes sableux. Ce qui prolonge la profane immensité de l’été, c’est cette perspective nouvelle d’une saison qui chante.

La chambre verte s’éclaire des parfums qui chatoient sur les corps endormis, en vigilance de rêverie, et l’équilibre des habitudes est rompu.

C’est un vaste jardin d’ombres, de poissons d’argent en une flore pélagique, pour des rayons de lune et d’herbes de Chine, comme l’eau ondoyante ou la vague au sable séminal. La mémoire d’une essence rare transperçant la forme d’une pensée sauvage. L’argile particulière qui deviendra différence des horizons. Des capsules orientales tendues vers le ciel, de mille couleurs, des fruits ouverts jonchés aux pieds des troncs moussus, des gouttes de rosée dans le calice de l’unique rose qui se penche sur sa tige frêle. Une ombre qui se transforme, qui entre dans les nœuds du temps, un végétal détachement.

Toute histoire est inflorescence. Il faut se persuader parfois que le délai nécessaire à la maturation ne sera pas plus long…Il est si difficile aussi de patienter, de s’ouvrir à la mémoire du vent. Ceux qui sont venus ici avec la certitude d’y trouver le soulagement sont couchés maintenant dans le lit de l’oubli. Seules, les aiguilles au cadran de l’horloge veillent sur leurs mânes solitaires. Les pierres sont grises, gravées de signes offerts au passant qui s’arrêtera.

Le ballon roule entre les roseaux, au long des pierres de la terrasse. Quelques coquillages et des pétales de pivoine. Tu voudrais un château d’ombres et d’herbes légères, comme un orgueilleux rempart contre les bruits de la ville, t’éloigner de la foule…Aller vers la fontaine des ondes de mai mais dans ton regard de feuillages, en mosaïque de miroirs brisés, je vois la plainte des nocturnes épaisseurs.

La maison est calme et sage, d’une fraîcheur blanche. Il n’y a d’indifférence que sur les visages qui ne sont pas échos. Tu reviens du fond de l’orage, il fait si froid, et tu déposes sur la table, les coings gelés. Les saignées de la terre sont musique et lumière, de lointains balbutiements d’enfants, rythme primitif d’un frémissement.

Dans l’inquiétude du brouillard, des figures échevelées qui tournoient. Pour interpréter le cantique du soir, il nous faudrait retrouver le libre de Babel, mais les lanternes se sont assoupies. Les enfants ont chanté dans le jardin en promenant leurs lampions. Les craquements des arbres étaient résonance. Maintenant, il est temps de ranger les costumes et déguisements. La sorcière a lancé les graines de citrouille afin qu’elles se gonflent et germent. L’automne est là, et se courbe vers la chaleur du feu. Comme une dame de froissements et de cendres, aux mains claires qui dispersent les herbes folles, sombres, d’une nuit de lune rousse.

Là-bas, la Venise végétale d’un songe mûrissant, ou l’image d’une ville engloutie sous les eaux du large espace, ou un escalier de pierres percé de lucarnes. Là-bas, le craquement de la lagune, des nuages d’entailles lourdes sur l’horizon d’une multitude errante, le chant d’un ange sylvestre ou l’île des étoiles perdues… C’est dans le murmure du coquillage que l’enfant reconnaît la voix de sa mère, comme un apaisement cadencé, d’ample et délicate flamme ; C’est dans le crépitement des étincelles du bois qui s’enlace au papier que la phonétique de la lumière devient sensible, comme un mouvement qui dénude ce qui est caché. (le jardin des enfances)

Les souvenirs sont des graphismes d’enfants sur des papiers transparents, pliés en quatre et caché dans des boîtes colorées. La mémoire est étrange : illunée et striée d’opaques nervures. Des visages dont on a oublié les prénoms, des paysages qui appartiennent à l’imaginaire, des plages sans grèves, des comptines sans mélodie. (le jardin des enfances)

Une mesure discrète élabore le foisonnement du mutisme. Nous devons apprendre à nous taire. Ouvrir nos mains et parler par des gestes qui se lassent. Écouter  l’immobile qui habite les choses. Découvrir ce qui nous entoure par le regard des doigts.

Ne plus rien dire. Et aussi, peut-être, ne plus voir, pour que l’insondable fragment du temps qui passe ne nous lacère plus. Renouveler le chant des corps, par cette intelligence lointaine et primitive qui tresse les chevelures fragiles des sirènes, et dans les ondées de brume et de lilas blanc, trouver l’œil de la lande.

Au sacrilège des argiles émiettées, par une ascèse délicate, se ployer, devenir étranger à soi même, disparaître dans l’anonyme instant. La nuit verdoyante est en deuil des astres qui se moquent de nous. C’est novembre d’un rire léger, de pâles clartés et de rythmes d’oies sauvages. C’est un déploiement de poussières et d’arabesques. Un changement qui réside dans le mystère des mutations. Ou l’arcane d’une dispersion humaine qui ressemble aux feuilles volantes de l’automne.

Dans la chambre aux vieux meubles, la pénombre est sertie de mémoires. Les miroirs s’animent de jeux d’enfants, d’éclats de lumière, de tulipes blanches dans le vase du soir qui dort. Le dragon perdu ne se cache pas dans le cœur de la fleur mais dans la grotte de notre passé. Nous devons sans fin le dompter, le chevaucher, découvrir en lui son autre visage : celui du cheval blanc ailé qui nous emporte vers les épousailles magiques.

Je me penche vers la Castalienne cheminée où se consument les grimoires des muses. J’y recueille les audibles paroles des pierres de lune et je les lance là où jouent les ombres de la nuit. Lorsque mon corps dormira dans la barque de bois, recouvert d’argile, je marcherai seule vers le dolmen aux yeux de jade. Je ne connais pas le chemin qui mène au jardin perdu, je ne sais pas si un ange veille encore devant les portes des Hespérides. Je n’ai jamais vu les lutins aux bonnets rouges qui lavent de leurs larmes les fleurs souillées par le sang des guerres. Je n’ai jamais traversé la croisée des ogives bleues.

Mais j’ai parcouru les lignes noires des signes de la matière et dans le miroir où s’observent les aveugles, j’ai vu l’enfant des éternelles migrations.

Ventre rond d’une femme : demeure simple des enfants du vent, berceau de nudité et d’absence, au souffle du large espace d’une alchimie, pour  le nouveau voyage des pèlerins de la terre.

 Des multitudes d’yeux attentifs peuplent l’épaisse noirceur des souterrains abandonnés. D’ailleurs, plus personne ne connaît le secret des grilles rouillées, ensevelies sous les lacs d’herbes ternes où sommeillent les châteaux oubliés. La belle au jardin miroitant n’attend plus que tombe le masque du prince errant.

La sollicitude qui viendra en nous demain sera à la mesure même de notre amertume. Ceux qui portent seul le poids des promesses oubliées nous interrogent sans fin. L’œuf de la primordiale parole est éclot, désormais. Et déjà, depuis si longtemps, tant de corps embaumés forment procession  et marchent en cercle sur les écailles livides. Il serait temps maintenant de déposer les fleurs violettes sur les tombes grises afin de nous tourner vers l’extase de la vie. Il serait temps maintenant d’entendre monter des lagunes essoufflées l’appel de Saturne.

Une aube différente éclaire le labyrinthe cosmique. Je dans le cri se déchire et découvre le hiéroglyphe du cœur. Nul doute, désormais. Je creuserai ta chair, terre de vierge apothéose, terre des vents, pour y trouver le lait de l’enfance ininterrompue.

Dans le jardin clos où s’épanouissent les roses ardentes, je m’allonge sur la pierre obscure où glissent les gouttes de ma chair ancestrale, et dans les ténèbres qui demeurent s’agitent les serpents verts aux yeux dorés.

Je m’endors du premier sommeil, assoupissement entre les épines et les ronces qui déchirent : hier est enseveli. Je suis la passante du jardin embué et là-bas, le tertre désolé des immigrés, et des errants aux mains serrées quand les herbes s’affolent devant les brouillards denses échappés d’un autre songe.

Une aile de soleil et de vent, échappée d’un ondoyant printemps, et la voix naissante du silence de la nature : éclats d’ondes marines, lueurs enfin, qui transfigurent le monotone. La pierre noire est chaude et douce. Les coquillages sont trop blancs et le ciel trop bas.

La tombe éclate, la pierre roule. Le sépulcre n’est qu’écorce de noix, tombée brutalement ,fendue sur un sol trop brut, trop sec.

Je tends les bras vers les formes ondulantes qui se dissipent, peu à peu. Espace d’intime éclosion.

Je vais vers un autre espace, l’étonnement d’une incertaine solitude. La nuit est inattendue . En ce lieu clos de bleuets et d’ iris , la chatte se love sur la terre encore ensoleillée. Fleur d’aube blanche ou fleur de sel, de salive éclose au matin qui viendra. Les écorces des arbres sont noueuses, chavirées. Le merle est devenu un ami. Il mange dans l’assiette du chat, il siffle et nous observe. Dans sa cage, le canari s’endort.

Les enfants sautillent dans l’herbe. Les plantes arrosées  laissent tomber sur l’argile leurs humides nervures. L’image accrochée sur le mur de briques se décompose. C’est Venise,  et il me semble entendre l’eau qui clapote. Une femme chantait à son balcon. La lagune est lointaine.

L’eau devient neigeuse, les tourterelles s’envolent. Près du puits abandonné, des miettes de pain et des graines. Vivre ici, ou là-bas, n’est pas indissociable de la nuit : ténèbres opaques, tombe muette, terre sombre, regard de clair-obscur, grotte inaccessible, statue de Vierge noire fixant de ses yeux l’immensité sacrée qui nous échappe.

Os sertis de chair, ambrés de végétale extase, dans le lit des étreintes tremblantes, et les corps se perdent et se trouvent encore…Cendres déjà, entre les doigts qui s’agitent, se meuvent, caresses évanescentes lorsque s’échappent les oiseaux blancs.

Dans le secret de ces heures défuntes aujourd’hui, une femme marchait dans le jardin. Elle s’arrêtait, émiettait le pain dur et attendait que viennent  les mésanges, les moineaux. C’était l’hiver , alors.

Je somnole sur la couche d’herbes vives, d’argile pâle. Une fleur délicate ouvre ses pétales. Les gouttes de rosée sont tendres, assoupissement. Pour vaincre le poids qui immobilise la chair,  pour traverser la vallée des ombres, pour lire dans le regard de l’aimé le temps de la présence.

Bientôt, écoute, viendra l’absence. Le lieu où tu es seul te ressemble, aucune distance ne nous éloigne du jardin des histoires anciennes. La chair est en exquise joie. Silence. Nous sommes les endormis de l’île close.

De lointaines contrées s’offrent aux regards des voyageurs. Du vide, jaillissent les ombres et les lumières. Les formes foisonnent, presqu’ impalpables.

Ocre souvenance, elle dit «  hier, là-bas «  et c’est longtemps que tu comprends. Le langage est autre, d’invisible sérénité, de permanente respiration. Blessure des heures chaudes, dans le creux d’une fulgurante ascension. C’est un sommeil de sang et de neige, qui viendra, alors que la mélodie de la flûte s’unit à la voix d’une femme.

La mélancolie dérobe à l’aube le cri de l’amour. Mouvements ininterrompus de doigts, de membres comblés. La lune exhale l’ardeur saveur de la ténèbre. Des gerbes laiteuses accentuent les étoiles qui trouent le manteau céleste. Cela suffit de déposer sur la pierre ronde, de feu et de vent, la ruine échevelée du temps qui passe.

De lourdes eaux tournent autour de nous. En nos souffles, une oraison musicienne qui ne cesse de se multiplier. (le jardin des enfances) 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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