Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

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Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

jeudi 8 juillet 2010

Le cycle de Kostro. Lettre de François.


« Je vous livre le secret des secrets : les miroirs sont les portes par lesquelles entre la mort. Regardez-vous toute votre vie dans un miroir et vous verrez la mort travailler sur vous »

Jean Cocteau, Orphée

Début 1953

Cher Kostro,

Yannick vient de m’envoyer la photographie qu’il avait prise de toi,   avec ton pansement- turban et tes chaussons du marché de Sallaumines ! Lorsqu’il était venu avec moi à Oignies pour te rencontrer. Je pense très souvent à ton petit laboratoire et ton  studio de photo aménagés dans l’ancien cabanon au fond du jardin.

Si gentille, Krystina qui  avait rangé ses outils au fond du poulailler ! D’ailleurs, il y avait bien assez de place puisque les poules vagabondaient en liberté, c’était bon pour la terre, elles désherbent, elles sont bonnes pour la nature. Et puis son homme n’était plus là, il ne fait pas  bon faire la grève quand les nazis sont dans les parages ! J’ai été étonné que tu n’écrives plus, mais heureux que Paul m’ait transmis ton adresse ; tu continues à jouer avec la lumière, photographie et cinéma sont devenus toute ta vie ; avant ils étaient plus accessoires, je veux dire qu’ils étaient un intermédiaire avec la poésie ; C’est toi qui m’en a donné le désir, tu te souviens ? Mon premier appareil, tu me l’as offert, en revenant d’Angleterre ! Et les premiers films !  J’écoute » les feuilles mortes » et je pense comme si souvent, à notre jeunesse, à nos amis anglais, à nos luttes et nos disputes.

Ce soir là, avec toi,   nous avions vu « Orphée » puis nous avions rejoint les mineurs au banquet de la Sainte- Barbe. Le grand-père Porion t’appelait  Cochise, il avait vu « la flèche brisée » et tu lui répondis en levant ton verre, la phrase de Cochise à son ami Thomas : « Durant ma maladie, j'ai eu l'occasion d'y réfléchir bien souvent, et j'en suis venu à la conclusion que les vrais amis se rejoignent là-haut, plus loin que les montagnes, quelque part au-delà des cieux. C'est ce que je crois. »

Puis l’un des anciens, arrivé dans les années 1925, te chanta l’hymne national polonais en pleurant. Très patriote ! Il est vrai, qu’avant de venir à la fête, ils avaient tous assisté à la messe de bénédiction des mineurs.

"Jeszce Polska

Nie zginela

Kiedy my zyjemy

Co nam obca przemoc wziela

szabla odbierzemy »

 (La Pologne n'a pas encore péri Tant que nous vivons Ce que l'étranger nous a pris de force 
Nous le reprendrons par le sabre.)

 Siwinski te dit aussi : «  tu vois tu es jeune, moi aussi j’étais jeune ! j’étais venu pour repartir ! et j’ai envoyé en Pologne, 33 millions d’économies faites entre 1929 et 1939, 10 ans de privations ! Pour acheter une ferme. J’ai envoyé l’argent à mon frère par la Poste ; j’avais pas confiance dans les banques, et tout a disparu ! Je n’ai rien eu et je suis resté ici. Nna zrdowié ! Sto lat dla ciebie !» (à ta santé ! 100 années de vie pour toi ! 

Enthousiasmé, tu lui répondis : je vais te dire, Siwinski,   la fin d’un poème : « au prolétaire »,   il est de Kostrowitzky, le grand poète polonais, écoutez tous,   avant la tombée de la nuit, ces mots qu’il écrivait :

« Or tu sais que c'est toi toi qui fis la beauté

    Qui nourris les humains des injustes cités

    Et tu songes parfois aux alcôves divines

    Quand tu es triste et las le jour au fond des mines »

Voilà pourquoi je veux rester ici, avec vous qui êtes les « héros ordinaires » de la vie quotidienne.

Moi, je n’aurai pas de menhir offert par Picasso sur ma tombe oubliée ;  qui viendra me voir, me parler ici, dans ce cimetière des ouvriers ?

Ma Madeleine n’est pas encore venue, ni de Louise, ni de Marguerite, Marguerite est avec Paul,   la solitude avec vous tous, et les souvenirs qui sont aussi mon poison. »

Le soir, dans la petite chambre à l’étage, dans la maison de Krystina,   où tu logeais au mois, tu mimas l’oriental qui danse, tu parlas longuement des photographies d’Etienne Sved, Hongrois comme toi. Je ne sais pas pourquoi on disait que tu étais tchèque ! La Hongrie voilà tes origines de par ton père. Et en nous montrant les photos de Brassaï que tu avais en ta possession, tu disais :  « les photos sont des miroirs de nous-mêmes, elles sont des portes, elles nous emmène au-delà de la mort. » Je sais maintenant pourquoi tu disais cela, en revoyant le film de Cocteau dernièrement, j’ai retrouvé la phrase initiale.

Cher Kostro, mon ami perdu et retrouvé, je t’envoie cette photo que je devais t’adresser avant que n’arrivent certains évènements dans ma famille, qui m’ont obligé à ne pas penser à moi pendant un moment, excuse-moi pour le temps qui est passé comme le vent de cet hiver froid et monotone. Maintenant, nous sommes au printemps, j’ai plus de temps et j’ai repris la photographie. Je viendrai te voir bientôt avec mes images de chambres et de fenêtres au cours des saisons qui passent. Tu sais comme j’aime et admire Josef Sudek.

 J’ai soupé un soir avec Paul et Marguerite qui, grâce à Roland, ont pu acquérir une maison en Algérie. Ils étaient si heureux de partir là-bas… Paul a eu un poste d’ingénieur des ponts et chaussées à Constantine, ceci dans l'attente d'exercer son vrai métier puisqu'i la réussi sa médecine, il ne devra pas attendre longtemps) et Marguerite un poste d’institutrice.

Bien à toi, ne m’oublie pas,

François

Photographie: l'homme au turban. Collection Yannick Vigouroux.

 

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