Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

_________________________

Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

samedi 17 juillet 2010

C’est décidé. J’écrirai l’histoire de Marie.

Histoire de Marie : Le journal de Ferdinand

(Ferdinand a comme nous trouvé sur Facebook les photos de Brigitte. Il a peut-être même écrit un ou deux textes. Puis plus rien. Il décide de prendre au mot une idée de François soutenue par Vinika : tenir un journal d’été pour soutenir l’histoire de Marie)

2 Juillet 2010. C’est décidé. J’écrirai cet été l’histoire de Marie. Non pas toute l’histoire de Marie, mais l’une de ses branches. J’ai assez perdu de temps avec cette histoire d’amour : je ne dois plus penser qu’à Marie, à ses vies multiples. Habiter la nostalgie avec elle. Ne plus aimer qu’elle.

4 Juillet, dans le diois. J’entrouvre les volets. Pentes douces de l’été. Odeurs et couleurs d’enfance. Adulte, je n’ai pas souvent connu de réveils éblouissants dans une maison à la nage au milieu du vert des prairies. Odeur d’enfance donc. Il est 6 heures 30. La maison est encore silencieuse. Je prends un quart de Lexomil pour retrouver le sommeil. Quelques heures encore : ce serait bien. Je me rendors avec Marie. Marie est venue ici à la fin des années trente, c’était une toute jeune fille. Les premières vacances d’une petite immigrée. Ses parents l’ont laissé partir dans la famille de son prof de maths. Il est tout jeune, il a déjà deux enfants, un bébé et un petit garçon de deux ans. Le couple s’est pris de sympathie pour Marie, élève méritante et pauvre. Ils ont décidé de lui offrir quelques jours dans la fraicheur des montagnes qu’elle ne connaît pas, en prétextant qu’elle s’occuperait des petits. Ses parents l’ont accompagnée à la gare, elle a mis son vélo dans le train. A Die, elle est descendue. Véronique était venue l’attendre, elles ont pédalé ensuite jusqu’au village, deux bonnes heures d’allégresse. Marie éprouve jusqu’à l’ivresse la liberté d’être des adolescentes, elle traverse la beauté d’un monde sans ride. Les volets s’ouvrent pour elle, pour rendre hommage à l’énergique beauté de son passage sur terre. Véronique la suit, veille sur elle comme une grande sœur, se revoit dix ans plus tôt dans le même paysage, celui que j’ai traversé hier soir. C’est à ce moment que je me suis rendormi et que j’ai perdu l’histoire de Marie.

Plus tard, ce matin j’ai photographié mon ombre dans un bassin où l’on avait mis le rosé au frais. Bien plus de la moitié de ma vie en tache noire sur la surface de l’eau. Au fond de l’eau, les quatorze ou quinze ans de cette fillette qui aurait pu être ma mère. Est-elle vraiment venue ici en 37 ou 38 ?

6 juillet. Retour de Paris en TGV. Tout à l’heure j’ai photographié un bateau mouche sous le Pont-Neuf. A cause des Quatre nuits d’un rêveur. Depuis 1976, les bateaux mouches appartiennent à Bresson et à ce film que j’ai vu comme un rêve. Rêve de plus en plus obscur au fil des années, de plus en plus mélancolique et inaccessible. Marie est assise en face de moi. Elle lit La ressemblance par contact. Elle n’a pas trente ans. Elle parcourt aussi un livre de Marguerite Duras sur lequel elle prend des notes au crayon à papier. Ce n’est pas Marie mais elle lui ressemble. Comment s’appelle la sœur de Marie dans notre histoire ? Marguerite. La véritable Marie a l’âge de Duras. L’homme qu’elle va épouser l’entrainera en Algérie où elle vivra jusqu’en 1959 ou 1960. A moins que ce ne soit Marguerite. Je vois plutôt les choses comme ça : Marie ne part pas, car finalement à son retour de Paris, Ferdinand demande la main de sa sœur — ça, il ne faudra vraiment pas l’écrire! la main de ma sœur c’est obligatoirement vulgaire —. Pourtant, c’est ce qui se passe Ferdinand part en Kabylie avec Marguerite et c’est Marie qui reste. Existences doubles, trajectoires contrastées. A retravailler.

Une anecdote me revient sur le voyage de Ferdinand à Paris. Place des Vosges : un couple de jeunes italiens, lui demande s’il sait où se trouve la maison de Victor Hugo. Il est terriblement ému. Il n’a pas aimé le Victor Hugo que l’école primaire française lui a enseigné celui de l’Art d’être grand-père et de Demain dès l’aube. Kostro ne parlait jamais que de ses amis surréalistes. Il comprend soudain que c’est l’homme des Misérables, des Châtiments et de l’Année terrible que recherchent ces étrangers. Et ça le bouleverse. Il a cherché avec eux la plaque apposée sur la façade de la maison à l’angle sud-est de la place autrefois royale.

Question : faut-il absolument que Ferdinand s’appelle comme moi ? Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée. J’hésite entre Fernand ou François. Ce qui me plairait c’est de l’appeler de son nom de famille. Pourquoi pas Flaubert ? ou Flobaire ? on verra.

10 juillet. Encore une journée sans écrire.

13 juillet. Depuis quelques jours, Facebook me demande si je veux devenir ami avec un certain Cédric Lagneau. Cet individu ne donne aucune information (pas une image, pas un mot) sur son identité. Deux solutions : ou bien Cédric Lagneau n’existe pas, ce qui est bien possible (mais dans ce cas qui veut me faire croire à son existence et pourquoi), ou bien c’est un personnage qui fait lui-même signe pour entrer dans l’histoire de Marie. Né à Mende, en 1919 ou 1920, il est un jour entré dans l’épicerie de Marie. On est en 1960. Les embouteillages monstrueux de la nationale 7 condamnent les voyageurs à faire halte dans les faubourgs de Valence l’été pour laisser refroidir le moteur de leur véhicule et pour se rafraichir d’une limonade. Lagneau a garé sa Citroën 15 devant l’épicerie. Il est entré au hasard dans l’épicerie que protège un auvent aux couleurs catalanes. Il a acheté une bouteille de limonade consignée, et il a tout de suite reconnu Marie qui ne lui a pas prêté un regard, la torpeur de la sieste et la lecture de Modes et Travaux occupant tout son esprit. Il reviendra. Cet automne, il reviendra. Rapporter la bouteille consignée ? Non il faudrait trouver un autre prétexte.

C’est sans doute lui, en tous cas, ce Christophe Mouton qui pourrait être mon ami si je le voulais. A moins que.

J’aime penser que cet inconnu n’est jamais revenu mais qu’il se le reproche et frappe aujourd’hui à nos portes pour rattraper ce qui ne se rattrape pas.

15 juillet. J'ai du mal à écrire. Quatorze juillet à C., un petit village à la limite de la Lozère. Ici coule une rivière qui s'appelle le Bonheur, elle descend vitement six kilomètres de granit, rencontre une nappe de calcaire où elle disparaît. Un kilomètre plus loin, elle sort de terre dans un beuglement de bête furieuse et descend les pentes du massif central jusqu'à l'Atlantique. Depuis sa résurgence, on l'appelle Bramabiau, puisque son brame est aussi poignant que celui des bêtes à cornes qui hantent le causse. En ferai-je une histoire ?

16 juillet. Hier soir en voiture sur France-Inter, un journaliste évoque "l'affaire Bettencourt" et le photographe Paul-Marie Banier. Un peu plus tard il parle de Pierre-Marie Banier. Moi il me semble que c'est François-Marie Banier. Peut-être s'agit-il d'existences virtuelles du même personnage. Ni tout à fait le même, ni tout à fait un autre.

André-Marie Banier aurait refusé les milliards que lui offrait Mme B., Georges-Marie les aurait joués au poker, François-Marie ne sait pas qui est Mme B.

Paul-Marie est vraiment un photographe, artiste de la photo povera, il n'utilise que des appareils photographiques jetables. Il jette d'ailleurs aussi toutes ses photos au fur et à mesure qu'il les donne à développer, sans même les regarder.

Quant à Pierre-Marie, il ne boit que du tilleul et se nourrit des raisins secs, des noisettes et des amandes, que lui apportent les visiteurs de son ermitage, perché en haut d'un des plus hauts fayards de l'Aigoual.

Ferdinand-Marie, éperdu d'amour pour une drômoise rencontrée par hasard à Montbrun les bain, les aurait donnés à Marie qui aurait intégralement financé le projet de Kostro en 1956 : raconter la vie quotidienne de 6 familles de mineurs de fond, l'une à Oignies dans le Nord de la France, une autre à Fontanes dans le Gard, une troisième à Tien-Chi, province de Shang-xi, une autre près de Newcastle (GB), une du côté de Pittsburg (USA), et la sixième en Afrique du Sud, à 180 km au nord du Cap. Six ans de tournage, un mois par an sur chaque lieu d'exploitation. Des prises de vue difficiles, parfois interdites. Kostro confiait son matériel à des mineurs quand on lui interdisait l'accès aux puits. Le résultat : un film superbe de 12h45, un véritable opéra en hommage à ceux qui ont construit la dernière moitié du vingtième siècle, un regard compassionnel et complice sur le travail, les familles, l'usure du temps (six ans de tournage : les décès, les naissances, les mariages, les luttes comme pulsation de ce film fleuve). Le film aurait été projeté une fois en présence d'Albert-Marie Banier et de Mme B., chez les B. La seule copie a très vite disparu.

Quelques années, plus tard, fin 66 ou 67, Mme B. qu'on dit bouleversée par le film, confie à Louis-Marie, en cachette de son marie André qui est ministre du général De Gaulle, une très grosse enveloppe qu'il doit apporter à Jacques Duclos. Louis-Marie disparait, avec l'enveloppe, entre Saint-Martin de Crau et Arles le 21 Juin 1968. Duclos a toujours prétendu ne rien devoir aux Bettencourt.

Les media oublient toujours de rappeler qu’André Bettencourt avait un frère, Pierre, merveilleux écrivain, auteur du Bal des Ardents, de L'Océanie à bicyclette, du Voyage au pays des hommes bousiers, de La Vie est sans pitié et de plusieurs autres chefs d'œuvre. Dans la famille Bettencourt, je demande le poète !

17 Juillet. Marguerite est institutrice en Algérie. Marie a ouvert un magasin avec son mari. Nous en sommes là. Kostro s’est trouvé des frères ou des complices. Que faire de Roland ? Est-il possible qu’il soit ce professeur de mathématiques dont Marie sera toujours secrètement amoureuse ? Pour moi, Roland meurt en 56 en Hongrie, seul, écrasé par ses rêves. Faisons le disparaître en Hongrie. Je vois ainsi ma branche de l’histoire de Marie, un livre des disparitions. Dissolution de la petite bande de la jeunesse, dissolution des rêves de la résistance. Liquidation générale. Un jour de l’hiver 1970, Ferdinand a pris rendez-vous avec André Bettencourt, ministre des Affaires Culturelles. Il voudrait retrouver le documentaire de son ami Kostro. Kostro est mort dans un accident de voiture peu après le retour de Ferdinand et Marguerite. Kostro est mort sur le coup. Marguerite était avec lui et elle a perdu la vue. Imaginer le dialogue entre Bettencourt et Ferdinand. Que reste-t-il de leur passé ? Dites-le moi.

18 juillet. Tout cela n’a aucun sens. Il faut revenir aux photos. Je n’ai toujours pas écrit une ligne de l’histoire de Marie.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire