Histoire de Marie

On me donne début juin, la collection des photos de famille de Marie. Bonheur et impression étrange de me trouver en possession de la mémoire d'une famille que je ne connais pas. Je sais seulement qu'elle était fille d'immigrés espagnols (Majorque, Soller) et que ses parents tenaient rue Sadi Carnot, une épicerie "Le Jardin d'Espagne" .
J'ai publié une première photo, et tous mes amis se sont mis à écrire...
Alors ce blog où l'histoire de Marie s'écrit (s'invente) petit à petit... au fil des commentaires, des messages
.
Un grand bazar ...
work in progress,

B. Chaix (juin 2010)

_________________________

Générique de fin
(avant un autre projet, certainement)


Merci à tous les amis auteurs, ce fut une belle histoire.
François a écrit un bel adieu à Marie . Je n'écrirais pas plus.

Marie , la vraie, est décédée l'an dernier, le 31 mars.

B Chaix (26 mars 2011)

mercredi 28 juillet 2010

Les carnets de Vinika, juillet 2030. Antigone 3.




La jeune femme au manteau rouge et celle à l’écharpe verte. (Blog Y.Vigouroux. 2008)

C’était cette page que je lisais hier, dans le train, un texte et une photo prise par Yannick, et que je découvrais, éberluée, au cœur du livre « Histoire de Marie, dans la nuit des disparus ». La jeune femme avait laissé tomber son livre et s’était assoupie.

Comment la vie fait elle pour que les gens  se croisent, se perdent et se retrouvent ?  Avec tous ces impossibles aléas du hasard ? 

Nous sommes de toutes les époques, chaque instant s’inscrit en nous, celui de la fleur et celui de la planète, nous sommes solidaires les uns des autres, nos mémoires s’enchevêtrent, se tissent en un réseau chatoyant de rires et de fugitives pensées. Une branche craque, c’est la tourterelle dans le sapin, les hortensias fanés ne la voient pas. Une fumée tourbillonne au-dessus des tasses de thé au jasmin. L’enfant regarde et ne comprend pas. Celui qui marche dans le silence traverse le souvenir de son ombre. Yannick aimait la photo intitulée "le Bosphore", elle lui rappelait certains de ses longs voyages, et la plage qu’il devinait derrière la gare déserte l’attirait.

Marie, Kostro et François  avaient lu les livres de Yannick, assisté à ses conférences  et ils aimaient aussi ce passage qu’il avait envoyé pour « Histoire de Marie » et qui faisait partie de leur livre commun. Je me souviens, le récit commençait ainsi :

" La Jeune Femme au manteau rouge." Yannick Vigouroux.

Chaque jour, dans le train de 8 h 17, la jeune femme au manteau rouge s'assoit devant moi, quelques minutes après mon arrivée, près de la fenêtre, dans le sens contraire de la marche. Comme tous les matins elle me jette un regard vague et furtif, auquel je répond par le même regard vague et furtif. C'est comme un signe de reconnaissance. Surtout pas un signe de complicité. Nous nous reconnaissons, c'est tout. Et pourtant j'ai le sentiment que nous nous connaissons sans nous connaître. La jeune femme au manteau rouge ne sourit jamais. Elle en possède probablement un mais ne parle jamais dans son téléphone mobile. J'apprécie cette discrétion. Depuis deux ans que nous voyageons "ensemble", nous ne nous sommes jamais parlé. Je ne connais donc pas le son de sa voix, je ne peux que l'imaginer. Malgré son attitude fermée et distante, je sens circuler entre nous un étrange courant de sensualité froide, difficile à décrire. Tout en faisant semblant de lire, je contemple du coin de l'oeil le bout carré de ses bottines marron, ce morceau de cuir légèrement usé. Je n'aime pas les mocassins gris qu'elle porte parfois.


Pour écrire les premières lignes de ce texte, amorcer la fiction, j'ai d'abord visualisé et enregistré mentalement les caractéristiques physiques et les attitudes de cette jeune femme, plus inconsciemment que consciemment ; puis un matin j'ai pris ces images floues avec mon nouveau boîtier numérique, où, pour une fois, elle porte un manteau noir. Qu'importe, l'image mentale que j'ai formé d'elle depuis longtemps est celui d'une femme portant un manteau de couleur rouge, et qui le restera...

Je venais de relire ces lignes de Virginia Woolf – cette fois il s'agit d'une personne âgée, mais le processus d'amorce et de gestation de la fiction (imaginer la vie d'inconnus croisés dans un train) est le même : « Je crois que tous les romans commencent avec une vieille dame dans le coin en face » (« Mr. Bennet et Mrs. Brown », conférence faite à Cambridge en 1924, in L'Art du roman, 1925).

Peter Handke confie quant à lui avoir rédigé son premier roman après la découverte d'un portrait de Cézanne : « Un portrait me frappa tout particulièrement car il représentait le héros de mon histoire, laquelle restait encore à écrire. Il était intitulé L'homme aux bras croisés : un homme sous lequel il n'y aura jamais de nom propre (et pourtant ce n'est pas n'importe qui), vu dans l'angle d'une pièce plutôt vide, définie par les seules lattes du plancher. [...] Les yeux de l'homme regardaient obliquement vers le haut et n'attendaient rien. L'un des coins de la bouche légèrement étirée par un sillage d'ombre plus épaisse : "modeste tristesse" Excepté la chemise blanche ouverte, il n'avait de lumineux que le grand front arrondi ; dans sa nudité même celui-ci était sa part non protégée » (La Leçon de la Sainte-Victoire, 1980)

Ce qui me frappe, c'est que, représentations picturale ou personne réelle, l'individu est à chaque fois perçu en diagonale, de biais (on ne lui fait jamais face). Virginia Woolf lui attribue un nom imaginaire, Peter Handke ne lui en attribue aucun. Ce sera le cas de la « Jeune femme au manteau rouge » qui restera anonyme, et, mixte des deux modes opératoires, l'image mentale des rencontres réelles servira de matrice au même titre que les clichés flous que j'ai pris d'elle. Il me semble en effet que les détails enregistrés doivent rester indécis, ténus, afin de laisser plus librement cours à mon imagination... »

Je fermais le livre, le posais sur les genoux de la femme endormie. Elle était semblable à celle du livre. Je rêvais peut-être encore ? Il m’apparaissait alors que la jeune femme au manteau rouge était sortie du livre et que je l’avais rencontrée, elle n’avait pas vieilli du tout.

 

 

 

 

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire