Je me souviens, Marie avait rejoint les petits garçons russes sur le bout de la plage, là-bas, trop loin de la vieille maison qui sentait la cire et le pain chaud. Dans la tente emplie de leurs secrets, ils avaient partagé les mistrals gagnants, les roudoudous colorés ; moi, je trouvais ça trop sucré et en plus, je m'ennuyais avec eux, ils étaient trop jeunes. Alors, je lisais puis je ramassais des coquillages que je donnais ensuite à Marie. le soir , dans la chambre mansardée sous les combles, nous mettions du coton dans des boîtes, nous rangions les coquillages par série ou par couleur, ça dépendait. Puis ils étaient oubliés, dans la commode parfumée de brins de lavande et de marjolaine, avec nos cahiers de chansons, nos serviettes de plage, nos bijoux de pacotille et nos déguisements d'été.
Il existait une autre maison, en Bretagne, enfouie au cœur des champs de blés et de maïs, non loin d’une minuscule forêt où se promenait un joli cours d’eau ; un vieux moulin y tournait sa roue, des libellules voletaient au hasard des rondes de l’eau. La nuit, dans cette maison endormie, la pénombre intensifiait la solitude du lieu. On entendait très loin de là, l’aboiement d’un chien tirant sur sa laisse, une batteuse tourner dans un champ presque vide ; au milieu des herbes quelques lucioles étincelantes. Marie avait enfermé une luciole dans une boîte et l’avait glissée sous son oreiller pour la garder à jamais, elle avait enfermé l’ami de la lune, mais la luciole n’éclairait plus rien le lendemain matin. Marie avait beaucoup pleuré.
Cette nuit là, l’ayant recouchée, je lisais dans la salle à manger lorsque j’entendis un frôlement léger. Une jeune femme en longue tunique blanche marchait dans le couloir, elle pleurait, ses cheveux défaits et appelait ses enfants perdus… Je ne bougeais plus, tétanisée. Elle passa à côté de moi, regarda par la fenêtre, et repartit. J’entendis les marches de l’escalier grincer l’une après l’autre.
Tous les soirs ou plutôt toutes les nuits, je la vis. Elle ne me voyait pas, je n’existais pas pour elle. Elle me semblait si belle. Si jeune. J’ai demandé aux fermiers qui nous louaient cette maison s’il y avait eu un décès non loin de là ou un accident.
Le fermier, assez surpris, ne voulait rien dire ! Il me raconta seulement quelques jours plus tard, lors d’une soirée où nous dégustions le cidre du pays, que sa jeune sœur, un soir de Noël, dans cette maison d'enfance, avait eu une attaque cérébrale et qu’elle était morte à l’hôpital. Que depuis, il n’aimait plus cette maison mais qu’à chaque Noël un repas réunissait les deux enfants de sa sœur qu’il avait élevé et toute la famille.
Longue, longue nuit des disparus ! Ceux que l’on a connu, oublié, perdu à jamais. Ceux qui pensent à nous, dans le jardin de belle clarté où le jeu des anges est semblable à celui des boules d’or lancées dans les eaux rouges d’un fleuve.
Le jeu des hommes : vivre, aimer et mourir. "Jamais je ne saurai quitter cette terre, disait Roland, je l’aime tant. Jamais, non, jamais, je ne quitterai les enfants sauvages, les cygnes noirs du jardin public, le jasmin fleuri au fond du jardin, vers ce lointain incertain.
Y perdre les yeux. Y perdre le sens du rire. Comment pleurer ou rire aux éclats là-bas ? Où cela ? Dans la nuit des perspectives éperdues. "
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