Le cantique du joueur de flûte.
Aurélie, vierge de brune, au-delà de la mort, au-delà de toute prison, je veille sur toi. N’aie pas peur des silhouettes nocturnes qui tournent autour de ton lit, car nous sommes marche nuptiale : infinie variété de fleurs étranges sur l’herbe…
Un jour, vers l’île oubliée, nous irons. Tu es mon étincelle animée, perdue au cœur des mascarades, ma divine humiliée par les impostures ; ne te ferme pas au frémissement de la vie.
Tu imagines, tu étouffes et tu cries, sans cesse : on cherche à tuer en toi ce souffle précieux de l’étonnement. Ne te laisse pas endormir ! Ne te laisse pas enfermer ! Tu es diamant au front des fées, mélodie à la bouche de mon espoir, aime Aurélia, fragment d’eau et de fleurs en une alcôve parfumée.
La peur te saisit. Tu trembles et tu t’agites. Tu pleures, tu griffes les murs de ta chambre, tu casses tes crayons, les couleurs s’épuisent à s’écraser chaque jour sur le sol muet.
Tu dis que tu es sur le pas-de-porte de ta propre folie, devant ce porche qui emmène vers l’infini des fantômes errants. Tu te faufiles très haut dans un grenier imaginaire où le feu ne peut t’atteindre. Tu dis que si tu te transformes en fleur dans le jardin, les soldats ne te verront pas. Tu dis que les œufs éclatés derrière la planche de bois, dans la cave si propre, ne pourront jamais éclore, et que si la puanteur envahit la maison, ce sera ce qu’il y a de plus gai.
Tu es, Aurélie, sable mouvant en un soir brumeux, tu te nourris d’angoisses, tu t’agites et tu t’enfuis. L’insipide entoure tes rêves. Tu es, Aurélie, longue plage torturée en un glacial hiver.
S’il manque un immense lit de feux et de fantaisies pour illuminer tes patiences prolongées, allonge ton corps sur les galets broyés par les vagues. L’enchanteur viendra, embrasant ta mort lente de courses folles dans les landes, de musiques légères de flûtes et de roseaux, le dieu Pan n’est pas mort.
S’il manque un songe de corail et de merveilles pour ouvrir tes lèvres humides, pénètre dans le pays des enfants blancs et des chevaux sauvages, entre au plus profond de la profondeur du sommeil, marche à contre- sort, à contre-courant.
S’en viennent princes inconnus des pays reculés, éternels rois- mages nomades, géants disparus, monstres antiques. l’anneau retrouvé dans la main d’un elfe, c’est celui-là que je te donnerai !
Aurélie, ma douce, ta destinée est de ciselure diamantée en un écrin de chaste secret ! Ouvre tes genoux ! Ouvre tes doigts ! Aime !
Aime ! L’angélus se dentelle d’étoffes somptueuses. Le matin resplendit de velours d’or et de bises tendres.L’œil du monde s’irise de nacre, le nénuphar danse sur le ruban frivole de l’onde, la terre s’empèlerine de blanches, d’aériennes soieries.
Dénoue tes cheveux dans la fontaine sacrée car ton visage miroite l’Unique. Le fruit de tes yeux est une longue pluie. Aime ! Oublie ! Vis ! ne pleure plus, ne parle plus.
La source joue la pourpre et la paille au soleil couchant lorsque les étoiles se cachent au coeur des roses fermées. Tes jambes abandonnées en un calice : pain savoureux, miel sucré.
Aime Aurélia ! le taffetas de tes vêtements se froisse, la barque d’Isis clapote sur la berge. L’herbe se greffe d’ombres tentaculaires. Sur le front de l’aube, un voile sombre. Les bras de marbre de la statue brisée se tendent enfin vers la crispation de l’errance, deviennent poussières.
Sous l’aile verte des treilles, tu creuses le chaos des souvenirs plombés, en ton cercueil de morte oubliée.
C’est un rythme ardent, sur l’oblique des cieux. Non, Aurélie, tu n’es pas partie dans le pays des ombres, tu es là, et tu vibres : passagère de mon ivresse.
Née au sein d’une terre asphyxiée, tu cherchais le rire et la joie, mon elfine sacrifiée sur la terre des hommes. La terre des servitudes. Née si loin de la haute mer du monde intérieur, tu cherches en vain ton arc d’argent et tu chantes au loin des bruyères, tu chantes la complainte du grand ange blanc.
Au souvenir de jadis. Tu es blessée, le sang qui sourd de ta plaie, en rides rougeoyantes, se mêle à mon sang et à mes larmes, tu me quittes déjà… Tu me quittes encore. « La plaie se cicatrise un jour en élevant l’âme » disais-tu . J’en doute encore.
Mais alors, une nuit, bientôt, lorsqu’un murmure mystérieux animera la pièce solitaire qui donne vers la forêt, je te verrai à nouveau.
Aurélia, ma terre d’attente, mon Ophélienne rompue sur les pierres du néant, mon innocente au cœur du temps, mon offrande aux dieux morts, mon vertige éternel… Toi, mon aube incertaine, ma féconde palpitation, je te donnerai le voile blanc, celui qui inaugure le jour du dernier voyage, le jour de la lunaire nuit.
Le vent s’est levé maintenant. Ton foulard délaissé, tes bras tombés en œillets fanés, périlleuse, frêle, douloureuse. Ma fleur de natale ivresse dans l’air palpitant, graminée fragile poussée sur la colline des herbes bleues, tes lèvres cyanes, dans la nuit de cette attente, ma reine de Saba, je franchirai les portes de la mort.
Là où l’antique déesse posait ses pieds nus, moi aussi je marcherai, je suivrai tes traces ; et j’irai là-bas, en cet autre ailleurs lointain. Au bord de la fontaine, allongée sur le marbre de ton sépulcre, tu sommeilles encore, les franges du feuillage forment une tonnelle,
Viens à moi ma vivante, mon Eurydice, le signe de mon allégresse, graffitis de mon âme. Ma vibrante épousée, mon abeille au sillage des pollens dispersés.
Pousses sauvages, roseaux torturés entourent le lieu de l’ardeur des reins extasiés. Viens vers moi, ma belle enfant des brouillards du nord, que je puisse enfin dénouer tes membres qui s’accrochent au cheval de la nuit, que je puisse enlever ces liens de pénombre, de ténèbre et de glace qui t’encerclent, te retiennent au pays de l’agonie.
Il est un lieu où je t’emmènerai, une île blanche et verte où les mouettes et les goélands glissent lentement sur les ailes du vent salé. Pourquoi pleurer l’ami disparu au seuil du rêve ? Nous avons vécu ensemble il y a si longtemps ! À l’ombre des songes et des mensonges. Nous avons couru dans les prairies et sur les collines. Nous avons parcouru indéfiniment les rivages aux reflets cuivrés lorsque la fée de l’horizon brodait les étoiles sur la robe nocturne. L’univers coule en notre sang, la vie est une ronde, une marche nuptiale, une saison de transparence, une ceinture de lumière.
Photographie: Remi Guerrin, Le tombeau de la princesse. Hué. Vietnam.
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